Ode pour une cathédrale
Les auscitains sont fiers de leur cathédrale et beaucoup connaissent les trésors qu’elle recèle. Pour tous les curieux d’architecture, le renom de cet imposant édifice s’étend d’ailleurs bien au-delà des murs de notre cité et il y a fort à parier qu’avec l’intégration d’Auch dans les Grands Sites de Midi-Pyrénées, cette célébrité ne fera que croître.
La bibliothèque possède de nombreux ouvrages sur la cathédrale Sainte-Marie, haut-lieu de notre patrimoine ; de nombreux érudits ont travaillé et travaillent encore sur son histoire. Bien évidemment, il n’est pas question de rendre compte ici de tous les écrits faits sur ce sujet mais de vous faire partager une découverte inattendue de ce monument auscitain, à travers un écrit de l’abbé Fernand Sarran, Le dit de l’architecte. Ce texte magnifique est sans doute peu connu des auscitains ; c’est pourtant une des plus belles odes écrite pour leur cathédrale. André Garros nous parle de Sarran dans la préface de son livre Le « cascarot »* de la Gascogne [*le grelot] :
L’œuvre de ce fils d’Armagnac est diverse : presque toutes les variétés littéraires ont été abordées par lui et il n’est vraiment pas possible de le classer dans un genre quelconque de ce que Sainte-Beuve appelait : « la botanique des esprits ».
[…] Nous avons inclus un seul texte en français – « Le dit de l’architecte » – poème dialogué, composé en 1924, dans lequel éclatent le souffle poétique et l’imagination de l’auteur.
Fernand Sarran était surtout connu et admiré pour son travail sur la langue gasconne, mais, d’après tous les témoignages de ses contemporains, c’était aussi un grand orateur. C’est sans doute cette fièvre lyrique qui lui fit rédiger ce poème étonnant qu’est Le dit de l’architecte. Pour découvrir quelques passages de ce texte, je vous propose de les lire en faisant défiler les panoramas magnifiques de la cathédrale Sainte-Marie réalisés par Gilles Vidal et que l’on trouve sur le site de l’office de tourisme. Les nouvelles technologies de l’information nous permettent d’associer différents éléments afin d’avoir un tableau plus complet et plus sensible sur un sujet. Ne nous privons pas de ce plaisir…
L’IMAGIER
Cette église de bois
Sera faite, Seigneur, de stalles accolées ;
Du dos, du bas, du haut finement ciselées ;
Comme vous les voudrez : en bois dur ou bois mol.
Bois dur, c’est mieux. J’œuvre à même le sol
Chaque stalle, l’une après l’autre, en cœur de chêne.
Par des moyens à moi, tout après, je l’enchaîne
À la stalle voisine. Et je fais, dans le haut,
Courir un autre rang de stalles. Le rabot
Va, vient, revient, polit, affine. Je cisèle
Une figure ici, là-bas une dentelle.
Stalle bonne à prier, stalle bonne à s’asseoir :
J’incline le dossier, j’arrondis l’accoudoir,
Et les chanoines d’Auch, en camail ou simarre,
Sur les justes sommeils y prendront bien quelque arrhe.
Dans ce long poème, Fernand Sarran fait dialoguer les acteurs de la construction de l’édifice. Il ne leur donne pas de nom, mais les identifie par leur fonction, manœuvre assez habile qui lui permet de mettre en valeur les différentes parties de la cathédrale. On trouve ainsi, outre le maître architecte qui s’entretient avec chacun, le verrier, l’imagier, le luthier, le fondeur de cloches, l’apprenti. Tous ceux qui connaissent la cathédrale aimeront sans doute voir ce qui est dit au sujet des vitraux ; il faut donc nous intéresser au dialogue entre l’architecte et le verrier.
L’ARCHITECTE
[…] Écoute. Pour œuvrer
Des Saintes et des Saints vivants, pour leur donner
L’incarnat de la chair, va, prends les marjolaines,
Les roses et les lis apportés à mains pleines ;
Pour les vêtir de sang, les fleurs pourpres des blés ;
Et pour les palmes de leurs mains, amoncelés,
Les verts des prés, les verts des bois, les verts des haies.
Les modèles vivants, je veux que tu les aies
Par dix, par cent, ici, pour orner ces parois :
Tu vas trouver ici des figures de rois,
Des visages de Christ, des profils de Madones,
Des vieillards, des enfants. Mais je veux que tu donnes
Aux Sybilles dressées, aux Saintes à genoux
L’air candide et rieur des femmes de chez nous ;
Et que l’on trouve enfin sur toute ta besogne
Les couleurs et les traits de toute la Gascogne.
Ce « verrier », c’est Arnaut de Moles, talentueux artiste qui réalisa les verrières de la cathédrale au début du seizième siècle et dont on sait bien peu de choses. Comme on peut le lire dans le catalogue d’exposition – Centre Cuzin en mars et avril 2004 – réalisé par l’Université du Temps Libre :
Cette ignorance ne date pas d’hier, car déjà au XVIIIe siècle, Pierre le Vieil, maître verrier de Rouen, écrivait en 1774 : « … Vers le même temps travaillait aux vitres peintes de la cathédrale d’Auch, capitale de la Gascogne, un nommé Arnaut Desmoles, très habile peintre sur verre, français, ainsi que son nom l’indique, car nous ne connaissons de lui, ni le nom de sa patrie, ni celui de ses maîtres, ni le temps de sa mort ».
On pense aujourd’hui qu’il serait né vers 1460/1470 à Saint-Sever dans les Landes. C’est sans doute pour cette raison que lorsque l’architecte du texte de Sarran demande au verrier « D’où viens-tu ? », celui-ci répond :
De la Lande.
Du ponant du pays gascon, où la mer grande
Jette le sel et l’algue et le sable à plein flots.
Or, ce sable marin, messire, je l’enclos
Et le chauffe à grand feu dans des creusets de pierre.
J’en fais le bloc étincelant, j’en fais le verre,
Et j’en fais la rosace, et j’en fais le vitrail.
On peut sans peine imaginer que Fernand Sarran, professeur et érudit passionné par sa terre natale a voulu rendre ainsi un hommage appuyé aux artistes qui édifièrent la cathédrale Sainte-Marie. Si vous n’avez jamais franchi les dalles d’entrée de ce noble édifice, vous pouvez encore faire une promenade virtuelle avant de venir vous pénétrer de ses mystères et continuer ensuite vos recherches entre nos murs si proches de ce vénérable patrimoine…
Alya-Dyn