David Bowie, Hours…, Virgin Records, 1999
Quand la fin du siècle approche cela fait longtemps que le Thin white Duke a délaissé l’actualité musicale, et n’apparaît plus que dans les soirées mondaines de la « world variety » mondialisée. Cela fait longtemps aussi que les amoureux de musique rock et pop n’attendent plus rien de particulier de celui qui fut le musicien anglais majeur des seventies, celui qui propulsa la musique populaire enregistrée vers des sommets de créativité et d’intelligence. Mais les années 80 laissent la plupart des songwriters majeurs de la décennie passée sur le bas-côté de la route, plus personne ne les embarque à bord, et ce sont de nouvelles formes musicales qui attirent les auditeurs. En matière de rock’n roll, passé trente ans vous faites partie du Paléocène ou du Néolithique. Mais voilà : il ne faut pas enterrer trop vite les as de la résurrection, car David a réchappé à d’autres saisons douloureuses, après l’échec retentissant de certains de ses disques, et sa carrière ne s’est jamais construite d’une manière linéaire, mais plutôt avec l’apport d’ingrédients malcommodes (comme Iggy Pop à la fin des années 70 par exemple). C’est pourquoi l’album Hours… signe le retour d’un formidable chanteur, dont la voix n’a rien perdu de son charme de suggestion, mais avec en plus la maturité qui confère à l’ensemble des chansons une douloureuse nostalgie, comme quand on s’aperçoit que quel que soit le chemin parcouru, aucun des attraits d’aujourd’hui n’aura le charme suranné des plaisirs d’autrefois : « Seeing my past to let it go » chante-t-il notamment dans le dernier couplet de la première chanson du disque, sobrement intitulée Thursday’s Child.
Une mélancolie se dégage de l’ensemble du disque, un ton introspectif parcourt l’ensemble des chansons, jamais mieux adoubées que dans leur titre même, lesquels réactivent ce vieux mélange toujours aussi efficace entre questionnement incessant et promesse sans cesse renouvelée d’offrir le meilleur de soi-même. Le dispositif à l’œuvre dans l’agencement des morceaux nous rappelle à quel point David Bowie est un maître dans l’art difficile d’échafauder ses disques avec la précision d’un maître horloger : Something In The Air, Survive, If I’m Dreaming My Life s’enchaînent sans temps mort, déroulant leur efficacité sonore et mélodique, accompagnant de leurs constructions harmoniques ce siècle qui finit.
Les textes des chansons sont audacieux et appellent peut-être à l’exégèse, car ils possèdent une qualité incomparable, celle de ne jamais se laisser gagner par le désarroi qui court à l’encontre d’un monde hostile qui n’en finit plus d’éparpiller ses mauvaises nouvelles aux quatre coins des territoires. Disque hivernal pour cœur sombre, transi de froid, mais qui ne demande qu’à se réchauffer aux éclats brûlants de cette pépite fin de siècle, cet album de David Bowie datant de 1999, tenait effectivement toutes ces promesses : apaisé, serein, revenu de pas mal de batailles médiatiques incongrues, le chanteur et compositeur anglais prenait la mesure du temps qui a passé et qui ne reviendra pas, et offrait à ses fidèles auditeurs le disque de la réconciliation.
New Angels Of Promise et Brilliant Adventure sont deux des morceaux de l’album qui permettent d’authentifier tout le chemin parcouru par l’artiste depuis ses glorieux débuts à la fin des sixties, mais c’est sans doute dans la chanson Seven qu’il identifie le mieux possible ce qui fait la substance de son art de composer des chansons intemporelles : « I got seven days to live my life or seven ways to die ».
Ce disque a été composé puis enregistré avec le fidèle de toujours, le sublime guitariste et musicien Reeves Gabrels, qui cosigne toutes les chansons du disque ; les autres musiciens sont : Mark Plati, Mike Levesque, Sterling Campbell, Chris Haskett, Everett Bradley et Holly Palmer (backing vocals sur Thursday’s Child).
À écouter de toute urgence, tant que le froid de l’hiver menace, en attendant le dégel à venir.
Marcellien