Si je frappe la note fortement, je peux laisser le doigt sur la touche ou le retirer, le son s’éteint au moment même où je l’ai fait entendre. Je peux toucher les notes comme je veux, le ton sera toujours égal. Il ne tinte pas, n’est ni trop fort, ni trop faible, et vient à tous les coups. […] Le mécanisme que l’on presse du genou est également beaucoup mieux conçu chez lui que chez les autres. À peine le frôle-t-on qu’il répond, et si on relâche un tant soit peu le genou, il n’y a pas la moindre
vibration.
Ainsi Mozart parlait-il de son piano-forte préféré, conçu par le facteur d’orgues Johann Andreas Stein. Ce texte est extrait d’une lettre adressée par le compositeur à son père le 17 octobre 1777. L’instrument dont il est question ici ne s’appelle pas encore piano mais il s’approche par son évolution de ce que nous connaissons aujourd’hui. C’est en 1709 que Bartolomeo Cristofori termine la fabrication de son « gravecembalo col piano e forte ». Ainsi commence l’histoire du piano. Au fil du temps, l’instrument se complexifie et celui qu’utilise Mozart possède déjà un système de genouillères placées sous le clavier et qui agissent de la même façon que les pédales : l’une amplifie le son, l’autre l’atténue. Il faudra encore des années de recherche, d’inventivité et de ténacité pour perfectionner le piano et faire oublier l’acharnement des premiers auditeurs contre de nouvelles sonorités. Ainsi Voltaire lui-même écrivait-il dans sa lettre à Madame la marquise du Deffand, le 8 décembre 1774 :
Un piano-forte qui est un instrument de chaudronnier en comparaison du clavecin.
Difficile d’évoquer ici cet instrument que nous connaissons tous, dans des registres différents : classique, jazz, variétés. Le piano se décline dans toutes les voix, sur tous les tons et, comme chaque instrument, touche nos sensibilités de mille et une manières. Dans la multitude d’œuvres où le piano brille, trille et nous emporte, chacun retient un morceau plutôt qu’un autre. La musique est universelle et intime à la fois, comme tous les arts… Pour moi, je ne peux penser piano sans lui associer le nom de Beethoven. Mes premières émotions musicales, je les dois au concerto n°5 pour piano et orchestre que j’écoutais sur un tourne-disque Teppaz. Les mélomanes seront effrayés en lisant cette phrase, tant ces barbares électrophones crachotaient la musique qu’un saphir déchiffrait sur des sillons de vinyle ! Mais pour l’enfant que j’étais, cet objet primitif me permettait de vibrer aux envolées magistrales du piano et de l’orchestre mêlées. Plus tard, j’appris à connaître d’autres œuvres pour piano, dans de meilleures conditions d’écoute, à commencer par les autres concertos pour piano de Beethoven et spécialement le quatrième, le concerto n°1 de Tchaïkovski et bien d’autres. Sur cette forme musicale, la revue Diapason a publié en 2011 une étude très intéressante où Léonard Bernstein livre sa vision du concerto pour piano :
La sempiternelle question reste posée : dans un concerto pour piano, qui est le patron, le soliste ou le chef ? Évidemment, cela dépend des personnalités des artistes et de la force de leurs conceptions respectives.
Loin des phrases musicales complexes où piano et orchestre se défient et se répondent, lorsque l’instrument seul nous emporte dans l’univers des compositeurs, l’interprète devient la voix préférée du maître. En écoutant la Fantaisie-Impromptu Opus posthume 66 ou une des polonaises de Chopin, si on ferme les yeux, on peut avec un peu d’imagination se retrouver à Nohant chez George Sand. Et si l’on ne peut parvenir à cette osmose entre le compositeur et nous, le pianiste est là pour nous y aider. Que dire par exemple des émotions procurées par Tristan Pfaff jouant Liszt pour le public du théâtre d’Auch en février dernier. Les doigts de l’artiste faisaient vivre l’instrument et nous suivions avec admiration cette union magistrale de l’œuvre, de l’homme et du piano. Minutes délicieuses où le cœur efface la raison…
Tant de compositeurs ont magnifié le piano qu’il est impossible de les évoquer tous. Pour découvrir quelques notes de Bach, Satie, Chopin ou Debussy, voici douze minutes offertes par l’INA. Régalez-vous et si vous n’en avez pas assez entendu, précipitez-vous dans votre musicothèque préférée ! Quant à moi, pour terminer ce voyage musical, je savoure la trente-deuxième sonate de Beethoven, composée entre 1820 et 1822 et dont la modernité m’a toujours bouleversée : dernières minutes d’une ultime sonate où ce créateur d’exception utilise des sonorités et des rythmes annonçant d’autres temps et d’autres styles musicaux…
Alya-Dyn
#1 by PFAFF on 26 juillet 2012 - 10 h 49 min
Mille mercis pour votre article.