Ben Harper, Welcome to the cruel world, Virgin Records, 1993.
« Folk, blues, hard rock, country, jazz et reggae sont juste quelques-uns des genres que le chanteur, compositeur, guitariste a fouillé tout au long de sa carrière. Son éclectisme l’a rendu difficile à ranger dans une catégorie. »
Ce sont sur ces mots que s’ouvre la notice biographique de Ben Harper rédigée par le magazine musical de référence dans le monde, Rolling Stone.
Quand le premier disque de Ben Harper (Welcome to the cruel world), un jeune guitariste californien d’une vingtaine d’années, paraît en 1993, on ne sait pas encore que cette musique, puisant à la source de l’americana, ne nous lâchera plus jamais.
Ce premier album du jeune musicien, empreint d’une mélancolie folk réveillant les fantômes chromatiques d’un Tim Buckley ou d’un Gram Parsons, réoriente la musique populaire américaine vers ce qu’elle avait perdu de vue tout au long des années 80.
Noyée sous les oripeaux de l’esthétique en toc de MTV, sous des nappes de synthés furibards, accompagnant la sacralisation des nouveaux dieux des stades (l’âge des concerts monumentaux, kermesses effrayantes), cette musique pourtant riche d’une histoire complexe, contrastée, multi-ethnique (du delta du Mississippi et des enregistrements d’Alan Lomax jusqu’aux confins de l’underground seventies) attendait encore celle ou celui qui en reprendrait le flambeau, mais cette fois-ci sans tambour ni trompette ; juste avec des guitares et une poignée de chansons lumineuses, ensorcelantes, des complaintes d’un autre âge, d’un autre temps, chantées par cette voix chaude et mélodieuse, faisant surgir tout un panorama d’émotions enfouies depuis bien trop longtemps.
Ce disque, c’est l’appropriation par la musique d’une douceur perdue, blottie contre les contreforts montagneux qui bordent le sanctuaire : celui de la mélodie américaine quand elle se fait plainte, chant d’esclave affranchi, longue mélopée indienne qui charrie avec elle les alluvions à la fois de la peur et du miracle à venir.
Ce disque, en 1993, était une offrande expiatoire dont nous n’avons pas fini d’explorer toutes les ressources.
Marcellien