
Représentation d'Andromaque à la Comédie-Française
Avec Racine on arrive progressivement à l’introduction de la nature dans la tragédie, en un long cheminement d’appréhension puis de compréhension des soubresauts de la nature humaine.
Racine bouleverse le genre, sans s’en rendre forcément compte ; mais ça ne masque pas l’essence sublime de la tragédie, ni ne la diminue.
La dramaturgie de Racine réside dans une psychologie nouvelle de l’instinct, quand Corneille, lui, privilégiait l’héroïsme de ses personnages. Mais l’idéalisme aristocratique concerne aussi la poétique racinienne, et se définit à travers la jonction entre le sublime (l’activation des vertus héroïques) et la tendresse. Mais, très vite, Racine se débarrasse de l’héroïsme et de la tendresse au nom de la nature, et ce projet racinien va bouleverser en profondeur le poème tragique, et instituer un nouveau modèle dramaturgique ; le nœud du drame selon Racine puise aux sources de la psychè des héros et de la permanence des questionnements moraux, individuels et collectifs. Dans Iphigénie par exemple on se pose les questions suivantes : pourquoi les dieux sont en colère et retardent d’autant la chute de Troie ? Faut-il sacrifier la fille d’Agamemnon et de Clytemnestre ? Que pèse l’amour d’une mère face à la parole sacrée de l’oracle ?
La pièce inaugurale du bouleversement racinien dans le théâtre français a pour nom Andromaque ; elle est représentée le 18 novembre 1667 à Paris, à l’Hôtel de Bourgogne. Les arabesques qui dessinent une nouvelle carte du tendre donnent naissance à la formulation d’une psychologie de l’amour. Ces mouvements du cœur seront continués dans Bajazet et dans Phèdre. On va y voir s’échafauder une passion brutale, possessive, un feu ardent qui consume les amants ; c’est dans la déréliction, le dérèglement des sens, que se forge une force nue, destructrice, celle de la passion amoureuse, qui n’épargne personne, à rebours de l’amour courtois et du code d’honneur chevaleresque. Ici le désordre des affects entraîne des catastrophes en cascade : amour et haine entre amants, suicides, attentats, meurtres, tentatives de régicide, cités qui tombent, en proie à la folie furieuse des sentiments exacerbés. Le cœur du monde, chez Racine, bat au même rythme que celui des amants tragiques.
« Ce qui distingue le personnage de Racine n’est pas la puissance de l’amour, mais la forme de cet amour, à la fois égoïste en ce qu’il vise à la possession de l’objet à n’importe quel prix, et ennemi de lui-même, tout entier tourné vers le désastre » nous dit Paul Bénichou.
Pour Racine, il faut concevoir l’instinct en un mot « naturel », au sens janséniste de ce mot ; car il fut lié à Port-Royal, les vingt premières et les vingt dernières années de sa vie.
À suivre.
Marcellien