Au royaume des êtres de légende, la licorne occupe une place de choix. Sans doute cette prépondérance trouve-t-elle son origine dans les divers symbolismes qui lui sont attachés et dans ses représentations nombreuses et constantes des créations artistiques. Peintres, écrivains et poètes ont chanté la licorne fabuleuse, emblème de pureté, associée à la beauté d’une jeune fille. Cette image a perduré au cours des siècles et les réponses iconographiques actuelles à une interrogation sur Internet révèlent à quel point ce mythe a gardé de sa puissance.
Les représentations de cette bête fabuleuse ont parfois de quoi surprendre. Si l’on considère par exemple l’animal dessiné par nos ancêtres Magdaléniens sur une des parois de la grotte de Lascaux, on a du mal à trouver un rapport entre ce quadrupède bovin, doté de deux fines antennes, et une licorne. Ce qui est sûr, malgré tout, c’est que l’on a affaire ici à un être fabuleux. Laissons la parole à André Leroi-Gourhan, grand spécialiste de la Préhistoire :
Cette figure fantastique, traditionnellement dénommée « la licorne » n’a rien de commun avec la représentation d’aucun animal connu, fût-il mythique. Il existe ainsi plusieurs figures qu’on peut classer parmi les « monstres » notamment à Gabillou (Dordogne), à Pech-Merle (Lot) et surtout à Pergouset (Lot) […] La certitude de l’existence d’un animal mythique serait particulièrement propre à liquider cette tradition du folklore scientifique qui représente l’artiste copiant plus ou moins bien les animaux comestibles qu’il comptait sérieusement afficher dans son prochain tableau de chasse. [L'art des cavernes]
La licorne apparaît dans les textes anciens sous la plume de Ctesias au quatrième siècle avant notre ère. Plus tard, d’autres auteurs comme Aristote et Pline l’ancien aborderont également cette thématique. On trouve dans le texte de Ctesias la description classique qui servira aux représentations médiévales de l’animal légendaire :
Il y a dans l’Inde des ânes sauvages de la grandeur des chevaux, et même de plus grands encore. Ils ont le corps blanc, la tête couleur de pourpre, les yeux bleuâtres, une corne au front longue d’une coudée. La partie inférieure de cette corne, en partant du front et en remontant jusqu’à deux palmes, est entièrement blanche ; celle du milieu est noire ; la supérieure est pourpre, d’un beau rouge, et se termine en pointe. On en fait des vases à boire. Ceux qui s’en servent ne sont sujets ni aux convulsions, ni à l’épilepsie, ni à être empoisonnés, pourvu qu’avant de prendre du poison, ou qu’après en avoir pris, ils boivent dans ces vases de l’eau, du vin, ou d’une autre liqueur quelconque.
Pour les Grecs et les Romains, la licorne était considérée comme une bête féroce. Au début du Moyen Âge, par suite d’une erreur de traduction, l’animal légendaire prend une autre symbolique, liée au Christ. Sa robe blanche facilite l’interprétation de pureté. Le mythe évolue…
Omniprésente dans l’art, comme par exemple dans la fameuse série des tapisseries connues sous le nom de Dame à la Licorne, cet être de légende est aussi utilisé par les libraires imprimeurs pour distinguer leurs ouvrages. C’est le cas par exemple de Jacques Kerver ou François Huby. Plus étonnante est la présence de la licorne dans des ouvrages scientifiques comme l’Histoire des animaux – n° 1916 de notre fonds ancien – de Conrad Ges(s)ner dont nous avons déjà parlé. Mais le développement des connaissances passe forcément par des interrogations et des suppositions parfois audacieuses. Difficile alors de démêler la réalité et la légende.
[…] les hommes passent près de la licorne sans la reconnaître, même si des signes évidents la leur désignent. Ils marchent enfermés dans leurs soucis futiles comme dans une tour sans fenêtres. Ils ne voient rien autour d’eux ni en eux. […] Foulques se retrouva dans la clairière qu’il n’avait plus traversée depuis l’automne. Son cheval de nouveau s’arrêta. Foulques le sentit trembler entre ses cuisses. Il sut que ce n’était pas de fatigue. Il regarda devant lui, et cette fois vit la licorne. Elle était debout sous le cèdre et le regardait, brillante de toute la blancheur de la lune. Sa longue corne désignait le ciel par-dessus les arbres, et ses yeux bleus regardaient Foulques, comme les yeux d’une femme, d’une biche, et d’un enfant.
Ces quelques lignes tirées du livre de René Barjavel, Les dames à la licorne, correspondent assez bien à l’imaginaire associé à ce mythe lumineux entre tous. D’autres évocations se déclinent en littérature de Roger Zelazny avec Le signe de la licorne – cycle des Prince d’Ambre – à Harry Potter de Joanne Kathleen Rowling en passant par Tintin, héros de Hergé, dans Le secret de la licorne, ou encore l’album Ambre, de Philippe Grémy, magnifiquement illustré par Thierry Chapeau. Sculptures, tapisseries, céramiques, peintures comme par exemple Les licornes de Gustave Moreau, toutes ces œuvres rendent hommage à l’une des plus belles et des plus anciennes créatures de légende…
Alya-Dyn
Nous remercions Hugues Morin de nous avoir autorisés à utiliser une de ses photos réalisée en 2009 à Ottawa. Vous pouvez découvrir son blog L’esprit vagabond.