En 1929 l’historien français Lucien Febvre donne naissance avec son ami Marc Bloch à une nouvelle école historique, qui porte un regard différent sur l’histoire ; avec la création de la revue Annales d’histoire économique et sociale la France se dote d’un outil intellectuel de premier plan.
Sous la houlette de Lucien Febvre une histoire thématique (communément appelée histoire des mentalités) succède à l’histoire diplomatique, factuelle ou événementielle qui faisait jusque-là la pluie et le beau temps. On va maintenant s’intéresser à l’histoire de l’alimentation, de la mort, de l’amour. Cette révolution considérable dans l’appréhension de l’histoire amène chaque historien à s’interroger sur sa place (réelle ou supposée) dans le champ sémantique mais aussi par rapport à l’objet d’étude dont il fait vœu d’expliquer les mécanismes, les origines et les artefacts. Pas une mince affaire.
L’homme peut-il être à la fois sujet et objet d’étude dans cette vaste entreprise pluridisciplinaire que devient la connaissance des civilisations humaines ? Les sciences sociales et les sciences humaines n’ont plus de frontières imperméables et utilisent les mêmes instruments de mesure.
De 1933 à 1949 Lucien Febvre [1878-1956] est titulaire de la chaire d’Histoire de la civilisation moderne au Collège de France ; de 1934 à 1940 il est concepteur et directeur de l’Encyclopédie française. Ses spécialités étaient la Franche-Comté, terre de ses ancêtres, et l’histoire religieuse au XVIe siècle.
Lucien Febvre s’était donné comme tâche la lecture et la compréhension du monde contemporain, aidé en cela par son expérience de la première guerre mondiale, dans les tranchées, puis celle de la Résistance et du climat noir de l’occupation allemande à Paris durant la seconde. Cela donne un sens aux faits particuliers qui affectent l’existence ; une longue familiarité avec les civilisations d’autrefois permet de comprendre, mais surtout d’agir dans le monde contemporain, quand le code de conduite, et l’honneur d’un honnête homme, n’étaient pas des vains mots. « Face au vent » de l’histoire en train de se faire, dans la médiation douloureuse du temps, il aura été sage d’allumer la lampe tempête afin de voir comment les autres vivent, aiment et meurent. C’est à ce prix seulement que les larmes sèchent un jour.
En 1949 Lucien Febvre se retire du Collège de France, où il est remplacé par Fernand Braudel. Il préside alors la jeune VIe section de l’Ecole pratique des hautes études, fleuron d’une pensée libre et sauvage. Il représente la France à l’Unesco.
Contemporain de Bloch avant-guerre et pendant, ensuite de Braudel, de Henri-Irénée Marrou, de Paul Ricœur, de Claude Lévi-Strauss et de Raymond Aron, Lucien Febvre mérite plus que tout autre le titre convoité de grand historien (et philosophe) du XXe siècle.
Léon Werth disait de lui : « Je l’ai vu extraire de vieilles pierres, la vie. »
Marcellien